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Jean-Claude Villain

Essais de compréhension mythologique (Les sacrifiés)

Editions L'Harmattan, Paris, 1999, couverture : gravure de Jean-Marie Granier.

en grec aux Editions Anémodeiktis, Athènes, 2005.

Préface originale de l'auteur. ( lire ci-dessous )

Traduction de Constance Dima.

Avant-propos de Hector Podivou.

Sommaire

1- La mise à mort: tauromachie et tragique solaire

2- Sacrifice et illusion

3- Arles, féria pascale

4- Arles, Van Gogh et le cercle

5- Plaidoyer pour Don Juan

Pour le lire

4° de couverture

Le propre des mythes est d'être inépuisables, par là d'offrir une variété d'interprétation sans cesse renouvelée. La démarche herméneutique de Jean-Claude Villain en use librement. S'il s'intéresse au mythe millénaire du taureau, au sacrifice en Méditerranée, à la présence de Van Gogh en Arles, ou à ce puissant mythe moderne que constitue Don Juan, c'est pour ouvrir chaque fois un champ d'interprétation inédit où l'intuition du poète, qu'il est aussi, stimule une investigation nourrie d'incontournables références. La compréhension mythologique que l'auteur propose, tout en commençant de façon anodine, rappelle l'actualité consciente et inconsciente de ces thèmes, puis peu à peu, pousse vers des horizons nouveaux qui, la surprise passée, peuvent résolument convaincre.

Préface originale à l´édition grecque, 2005.

Le poète est souvent solitaire. Sa création s’enracine dans les profondeurs de son moi visitant ses méandres intérieurs ou se confrontant aux aspérités du monde, naturel ou social. Divers courants ont amplifié sans nuances ces tendances, comme par exemple le romantisme ou la poésie « engagée ».

Si je parle ainsi pour commencer c’est que, quoique s’agissant ici d’un recueil d’essais, je ne saurais m’écarter de la dimension première, sinon unique, de mon travail : la poésie. Ecrits dans les deux dernières décennies du 20° siècle, mes livres sont apparus dans le contexte d’une littérature marquée tout autant par des recherches et des expériences parfois déroutantes, que par la perpétuation de certaines conventions. Personnellement j’ai toujours été indifférent à ces repères contextuels et sans pour autant les ignorer, j’ai écrit sans m’en préoccuper.

Poète français je revendique en permanence un seul statut : celui de fils de la Méditerranée. Celle-ci reconnaît ses enfants et les unit par-delà toute nationalité, tissant entre eux un lien de lumière et d’histoire, qui, même lorsqu’ils se déchirent, ne les laisse jamais sans territoire ni tradition, sans appartenance ni filiation.

La Méditerranée est en effet l’espace, parfois utopique, parfois réel, d’une fraternité solaire courant sur les lèvres de sa grande bouche marine, qui, d’Est en Ouest, du Nord au Sud, parsemée d’îles comme autant d’éclats, s’affirme de façon unique dans l’histoire de toute l’humanité.

Né au Nord, loin de son rivage béni, j’ai résolument choisi de descendre un fleuve jusqu’en son delta, pour, dans mes vingt ans, embrasser une deuxième naissance, volontaire et élective, sur le sable d’une plage que je ne quitte que pour naviguer, tel Ulysse, de pays en pays, sur cette immensité familière. Toute ma vie, et la plus grande partie mon œuvre, se sont ordonnées autour de ce choix. Or depuis mon enfance rêveuse, la Méditerranée avait pour moi une âme : la Grèce. Son histoire et sa mythologie, découvertes dès mon entrée au lycée, enrichies des images qui m’en parvenaient, tout m’attirait. Avant même de la rejoindre une première fois, j’écrivis un livre « grec » : Le Tombeau des Rois, y consignant « ma » Grèce, inquiet de ne jamais la rencontrer sur place, et craignant qu’un premier voyage ne soit un désenchantement.

Evidemment il n’en fut rien et je n’ai plus cette peur : chaque fois que je reviens en Grèce, depuis le hublot de l’avion, j’ai toujours la même impatience à reconnaître le premier îlot en mer, la première côte : dès lors, c’est le « miracle grec » qui se produit, se reproduit. La présence pérenne des dieux m’y est chaque fois perceptible, et ce, malgré les perturbations monstrueuses qu’imposent parfois aux paysages millénaires la modernité industrielle et urbaine. La Grèce possède, sur terre et en mer, des réservoirs inouïs de sens qui en font toujours, comparée aux autres pays de la Méditerranée, le cœur, l’âme et le poumon de celle-ci.

Aujourd’hui je suis pénétré intimement de cette expérience et de cette certitude. C’est mon unique foi. Fils adoptif de la Méditerranée, je viens, régulièrement et vitalement sucer sa mamelle grecque, aussi généreuse et abondante que les poitrines de ses femmes. C’est le nectar de ses dieux, la pureté de son ciel, la force solaire et tragique de ses brûlures, qui me nourrissent, répétant chaque fois, un juste et nécessaire rituel de métamorphose, de filiation et d’appartenance. Je suis élu poète par la foi et la fidélité de cet attachement amoureux et en retour, par la bénédiction venue d’elle. Car j’ai baisé en silence les pieds des cariatides, j’ai croisé le dieu Pan sur l’île de Thassos, et un jour en un nuage, Zeus m’est apparu sans que je ne l’aie craint.

Le lecteur grec de ces essais comprendra mieux sans doute pourquoi c’est en poète que j’ai voulu parcourir, par l’approche mythologique, ces thèmes, à la fois actuels et éternels. Celle-ci est ici pratiquée comme méthode de compréhension : le poète momentanément analyse, en se servant surtout de ses intuitions et de son imaginaire sensible ; son regard, nourri des archétypes fondateurs venus de l’Antiquité, se tourne vers quelques-unes des plus fortes thématiques questionnant l’humanité.

Au terme d’un siècle qui a inventé l’holocauste d’un peuple et la possibilité de détruire d’un coup l’humanité entière, s’interroger sur le sacrifice peut aisément paraître incontournable, tout comme revenir à l’histoire de ce rituel millénaire : l’immolation du taureau. L’aventure moderne de la liberté permet à l’individu, dégagé de la solidarité du groupe grégaire et d’un dieu tutélaire, de s’affirmer à ses risques et périls : cette expérience est reconnaissable à travers la subversion d’un Don Juan tout comme il faudrait la poursuivre par l’examen de Don Quichotte, de Faust et de Robinson. Que l’artiste –et lequel ! ici Van Gogh- puisse être le bouc-émissaire d’une société, révèle également, de façon mythique exemplaire, le fonds hypocrite et refoulé de notre présent.

Par sa sensibilité propre, habité par la conscience aiguë de son histoire et de sa culture, par la viviscence des archétypes en lui, le lecteur grec, plus que tout autre, peut percevoir les sens actifs contenus dans ces essais. Je peux dire aujourd’hui que c’est entouré de la présence de cette communauté de sensibilité, que j’ai, solitaire cependant, composé ces pages, et que c’est aux lecteurs grecs que je pensais prioritairement en les écrivant.

Que ces essais puissent aujourd’hui être accessibles en langue grecque est l’aboutissement inespéré d’un rêve, en même temps que leur plus haut devenir. Cela est rendu possible grâce à la traduction de Constance Dima et à l’édition qu’en assure Nikolas Iordanidis. Je les remercie ici chaleureusement.

Jean-Claude Villain

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